Les Banques Centrales ont, parmi les premières, pris conscience de l’importance de la finance verte dans le cadre de leur mission de stabilité de l’économie. Dès septembre 2015, Mark Carney, alors gouverneur de la Banque d’Angleterre, dénonce dans un discours célèbre la tragédie des horizons : « les conséquences catastrophiques du changement climatique se manifesteront bien après les horizons traditionnels de la plupart des acteurs, imposant un coût aux générations futures que les générations actuelles n’ont pas d’intérêt direct à régler. »
Dans le même discours, il théorise les différents risques que fait courir le changement climatique à l’économie, et distingue en particulier les risques physiques, résultant directement des phénomènes climatiques (sécheresses, inondations, tempêtes, hausse des températures, élévation du niveau de la mer,…) et les risques de transition, résultant de la nécessaire adaptation à cette nouvelle situation, ou des efforts pour limiter les émissions de gaz à effet de serre.
Deux ans plus tard est créé le Réseau pour le Verdissement du Système Financier (ou NGFS : Network for Greening the Financial System), constitué pour accélérer le développement de la finance verte et pour produire des recommandations sur le rôle des banques centrales face au changement climatique. Le NGFS compte aujourd’hui 141 membres, banques centrales et superviseurs, et son secrétariat est assuré par la Banque de France.
Le NGFS a sensibilisé l’ensemble des banques centrales à ces nouveaux risques, et se situe « au cœur des efforts visant à préparer le système financier aux conséquences du changement climatique et à soutenir les objectifs de l’Accord de Paris » (Finance Watch). Les banques centrales des pays de l’Union Européenne et la BCE sont particulièrement en pointe dans ce réseau. Au titre de leur mission de garantir la stabilité financière, elles prennent en compte le risque climatique au même titre que, par exemple, le risque de cybersécurité ou les prix du pétrole, et s’assurent que les institutions financières de leur juridiction gèrent ces risques.
C’est ainsi qu’au dernier classement sur ce thème des banques centrales du G20 (Green Central Banking Scorecard) de 2024, la Banque de France arrive largement en tête, suivie de la Banque d’Allemagne, de la Banque d’Italie et de la BCE. Ce classement intègre les efforts de recherche, la prise en compte du climat dans la politique monétaire et dans la politique financière, et la capacité à montrer l’exemple, indicateur sur lequel la Banque de France est particulièrement performante.
Malheureusement, l’implication de l’Europe sera loin d’être suffisante pour influer de manière significative sur l’évolution du climat, et le positionnement de la Réserve Fédérale américaine dans le peloton de queue de ce même classement est préoccupante. Comme le souligne Emmanuelle Assouan, directrice générale de la stabilité financière et des opérations (DGSO) à la Banque de France : « C'est vraiment dommage que les autres grandes juridictions ne soient pas là où nous sommes, car le changement climatique est un problème mondial, et agir uniquement en Europe pourrait ne pas suffire à changer la situation dans son ensemble ».
La Banque de France a démontré qu’il était possible d’aligner les portefeuilles d’actions sur l’Accord de Paris sans dégrader leur rendement. Dans la gestion de ses portefeuilles d’actions, la Banque de France s’intéresse d’abord à la manière de protéger le bilan de la France des risques liés au changement climatique, tant du point de vue des risques physiques que des risques de transition. Elle s’efforce ensuite « de minimiser les risques que nous considérons comme pouvant conduire à des actifs échoués ou à une amplification des évolutions en termes de changement climatique ».
La Banque de France publie chaque année l’empreinte carbone de ses portefeuilles dans son rapport de développement durable. Elle développe un outil appelé « indicateur climatique » pour aider les entreprises à commencer par les secteurs les plus concernés comme le bâtiment, l’énergie ou les transports, à analyser les risques de transition et les risques physiques par rapport à leurs modèles économiques. Cet outil leur permet donc d’évaluer les domaines dans lesquels elles pourraient s’améliorer et de se comparer à leurs pairs. La banque centrale prévoit d’étendre cet outil aux autres secteurs à partir de cette année.
Un autre apport important du NGFS a été de proposer des scénarios pour analyser le risque climatique, selon le niveau et la cohérence des politiques de transition mises en place. Ces scénarios sont notamment utilisés lors de la réalisation des stress tests régulièrement proposés aux établissements financiers et aux assurances. Ces scénarios se classent en 4 catégories : ordonnés, désordonnés, « serre chaude » et « trop peu, trop tard » (*) :
Malheureusement, comme le souligne le dernier rapport du GIEC (2023), les politiques actuelles se situent plutôt dans la catégorie « serre chaude », avec des risques graves et irréversibles.
Le NGFS a également identifié une autre catégorie de risques, les risques liés à la nature. Un groupe de travail a été créé sur ce thème, co-présidé par Emmanuelle Assouan de la Banque de France. Ces risques comprennent notamment les atteintes à la biodiversité, qui doivent être analysées au même titre que les risques climatiques, et qui sont au cœur d’un rapport que vient de publier la BCE.
La nature n’est actuellement pas prise en compte dans les modèles économiques, et ses « prestations » ne sont pas valorisées car considérées comme acquises, ce qui sera de moins en moins le cas dans le futur. Un facteur de complexité (comme pour le climat) est que les atteintes à la nature sont globales mais leurs conséquences sont locales, d’où la tentation de se contenter de mesures locales. Le NGFS étudie l’intégration du risque sur la nature dans les stress tests comme pour le climat.
Les autres dossiers prioritaires du NGFS sont la blended finance (financement mixte), largement utilisée pour financer la transition dans les pays en développement, les plans de transition, et l’adaptation au changement climatique pour les banques centrales et les superviseurs.
Les banques centrales ont très vite compris que, dans le cadre de leur mandat consistant à garantir la stabilité financière et économique, elles avaient un rôle clé à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique et pour l’habitabilité de la planète. Elles mettent à profit leur positionnement de superviseurs et de régulateurs pour favoriser la prise de conscience des institutions financières, et pour mettre à disposition des outils tels que les scénarios et les stress tests, et dans le cas de la Banque de France, un indicateur climat au niveau de chaque entreprise.
Bien entendu ces actions, pour avoir un effet véritable sur le climat, doivent être étendues au monde entier, et les entreprises financières et non financières doivent prendre le relais en s’engageant dans des trajectoires de transition ambitieuses. Mais la mobilisation des banques centrales européennes peut et doit avoir un effet d’entraînement d’abord sur les acteurs économiques européens, puis sur le reste du monde au fur et à mesure de la prise de conscience des enjeux.
Notre Cabinet à travers son dispositif de consultants travaille sur ces sujets, notamment auprès de la Banque de France.