Au début de cette année, le rachat de Crédit suisse par UBS en Europe et la faillite de la SVB (Silicon Valley Bank) outre Atlantique ont levé un vent d’inquiétude sur les marchés financiers jamais vu depuis la crise des subprimes.
Bien que les contextes soient différents, ces événements nous donnent l’occasion de constater que toutes les leçons n’ont pas été tirées des crises précédentes malgré un renfort de la réglementation depuis 2008. Ainsi, ils laissent entrevoir des angles morts persistants sur le plan réglementaire d’un continent à l’autre.
Le système financier américain est le plus important au monde et représente plus de 50% des opérations de CIB. Il est tourné vers le financement de l’économie réelle et des pensions.
Il cultive le paradoxe d’être l’épicentre des plus grands scandales financiers de ces dernières décennies mais de s’en être toujours relevé, notamment grâce à un important renfort de la réglementation en 2008.
Cependant, malgré le travail accompli, des faillites bancaires restent encore possibles de nos jours, fragilisant l’écosystème financier.
Premièrement, il convient de noter que le contexte de la faillite de SVB présente des éléments différents de la situation de 2008, qui ont notamment permis de la régler rapidement et sans dommage profond.
Lehman Brothers était une banque fédérale, plus grande que SVB, et sa faillite venait de produits sophistiqués rendant le diagnostic complexe pour enrayer une crise que personne, ou presque, n’avait alors vu venir.
La situation de 2023 s’est montrée différente de la crise des subprimes, avec une faillite qui ne vient pas tant des produits détenus et de leur complexité que d’une mauvaise gestion, incapable d’anticiper et de se prémunir de la fluctuation des taux d’intérêt.
Par ailleurs, le choix rapide de l’État américain consistant à préserver en intégralité les avoirs des épargnants s’est montré judicieux pour stopper un effet systémique.
Cependant, l’analyse de cettefaillite permet de comprendre les failles persistantes du système bancaire américain en matière de suivi des risques.
Contrairement aux banques fédérales de taille importante la SVB était régionale, de taille plus modeste, avec un niveau de fonds propres requis qui avait été rabaissé par suite des réformes de l’administration Trump favorisant ce type d’établissement.
Par ailleurs, ses avoirs étaient peu diversifiés, composés à plus de 55% de titres hypothécaires à long terme (10 ans). Dans un contexte de hausse des taux dont l’ampleur n’a pas été anticipée, une partie importante de ce portefeuille a perdu de sa valeur fin2022.
Une autre partie était liée à des fonds de capital-risque et aux crypto-monnaies, marchés sur lesquels des faillites concomitantes ont exacerbé la crainte des investisseurs dans la perte totale de leurs avoirs.
A cela s’ajoute une singularité des règles comptables bancaires américaines, qui permet à des titres détenus jusqu’à l’échéance d’être effectivement comptabilisés à leur coût d’acquisition. La perte engendrée sur ces produits (15 Md USD), quasi égale aux fonds propres de SVB, n’a donc pas été comptabilisée à fin 2022.
Sur ce point comme d’autres, il est notable qu’aucun analyste n’a alors sonné l’alarme, y compris Goldman Sachs qui finira par reprendre les avoirs de la SVB et de profiter de la baisse des taux provoquée par sa faillite pour en dégager aujourd’hui une plus-value.
Auparavant, une analyse de la gestion des risques de SVB sur ses portefeuilles en avait révélé la faiblesse, sans que la banque souhaite approfondir ces travaux et corriger ses pratiques.
La forte hausse des taux, d’un niveau non-prévu par les modèles de la Banque, a eu ainsi raison d’une stratégie visant à augmenter les revenus de la Banque sans tenir compte de sa fragilité globale et de celle de son système de risques.
La multiplication des virements en temps réel des clients vers d’autres banques pour sauver leurs avoirs a alors précipité la SVB vers la faillite.
Il est à noter que la réglementation Européenne, elle, oblige les banques de l’UE à respecter les exigences des accords de Bâle III en termes d’exigences de liquidité (ratios de solvabilité etc.), auxquelles SVB n’était pas soumise. Pour rappel, seules une quinzaine de banques sont concernées par Bâle III en 2023 aux US, contre 2200 banques pour l’UE, du fait d’exigences réglementaires supprimées par l’administration américaine évoquées plus haut.
De même, si le Bank term Funding Program mis en place par les autorités américaines a bien permis de garantir tous les dépôts de SVP et des prêts facilités à la banque, il n’a pas pu couvrir les pertes des porteurs d’actions et d’obligations de la Banque.
Enfin, la Federal Deposit Insurance Corporation (FDIC) ne garantissait que les dépôts inférieurs à 250 000 USD, soit une minorité pour SVB, dont les dépôts moyens de sociétés de capital risques étaient bien supérieurs. Aussi, cette institution a dû faire une exception pour inclure ces dépôts dans sa couverture.
Le système réglementaire américain fonctionne davantage en réaction que de manière préventive
Si cette mesure, prise dès le lendemain de la faillite de SVB, a permis de rassurer un temps le secteur et les épargnants, il démontre en miroir que le système réglementaire américain fonctionne davantage en réaction que de manière préventive face à un risque qui semble plus structurel.
Au sein de la zone Euro, les contraintes réglementaires sont plus strictes (notamment car les actifs éligibles sont valorisés à leur prix de marché) et surtout appliquées par toutes les banques quelles que soient leurs tailles, à la différence des Etats-Unis.
Au-delà des différences de réglementations bancaires entre les deux côtés de l’Atlantique, la faillite de SVB met également en lumière un angle mort, risque commun aux deux régulations : le shadow-banking.
Si SVB était une banque particulière à plusieurs titres, sa clientèle d’institutions financières non-bancaires, non-assujettis à la réglementation bancaire donc, constituait bien un risque important étant donné leur taille, le caractère de long terme de leurs actifs, face à des actifs particulièrement liquides.
Or la faible réglementation internationale de ces institutions et leur enchevêtrement avec les systèmes bancaires constituent la partie immergée de « l’iceberg de risque »ainsi constitué.
Dans son discussion paper DP11daté du 18 juillet 2023 intitulé "An approach to macroprudential policy for investments funds", la CBI (Central Bank of Ireland) fait étatd’un potentiel risque systémique généré par les fonds et en appelle à l’ESMA pour prendre des mesures.
En effet, la hausse globale du volume d’actifs par des acteurs non-bancaires ces dernières années (212 Mds € en2021 contre 72 Mds € en 2008) et leur représentation de la moitié des actifs mondiaux (voire plus pour l’UE) demande à l’Union Européenne d’ouvrir de nouveaux champs de réflexion sur la nature du risque posé et de prendre des mesures qui en découlent.
L’UE doit rester à l’avant-garde de la règlementation bancaire
En ce sens, l’Union Européenne doit, tant par ses réflexions que par ses mesures, rester à l’avant-garde mondiale vis-à-vis d’une réglementation américaine plus conservatrice des intérêts à court terme de ses établissements nationaux.