La finance verte traverse actuellement une sérieuse crise de confiance et les accusations de greenwashing se multiplient, portées par les médias et appuyées par des enquêtes solides et argumentées mais conduites à charge.
Dans le collimateur en particulier, le marché des crédits carbone. Ce marché, lancé au début des années 2000 par des acteurs comme le suisse South Pole, permet à de grandes entreprises fortement émettrices de gaz à effet de serre de réduire leur bilan carbone, voire d’afficher un engagement d’atteindre la neutralité, en souscrivant à des crédits carbone, censés financer des projets favorables au climat.
Or, des enquêtes journalistiques ont démontré que ces projets, s’ils ont en effet le mérite d’exister, sont loin d’atteindre les objectifs affichés, notamment du fait d’un manque de suivi (exemple typique : les arbres plantés, puis arrachés quelques années plus tard). Le scandale soulevé par ces révélations vient décrédibiliser toute la filière et met à mal la stratégie de compensation des entreprises émettrices.
Une autre accusation récurrente porte sur les fonds dits « verts », de plus en plus recherchés par les investisseurs privés, et à qui on reproche d’inclure dans leur portefeuille des actions de sociétés peu vertueuses d’un point vue ESG, comme des producteurs d’énergie fossile. On a d’ailleurs assisté fin 2022 à une bascule massive de fonds de la catégorie « Article 9 » de la réglementation SFDR, qui nécessite de vrais objectifs d’investissements durables, vers la catégorie « Article 8 » moins exigeante.
Les sociétés de gestion se défendent en disant qu’elles ont aussi une obligation fiduciaire, celle de gérer les capitaux de leurs clients au mieux de leurs intérêts. Cette contrainte peut donc entrer en contradiction avec celle de sélectionner uniquement des actifs « verts » si des actifs « bruns » ont (temporairement) une rentabilité supérieure.
On met ici le doigt sur les limites de la finance verte : la finance ne sauvera pas la planète à elle seule ! Elle a besoin de mesures gouvernementales qui pénalisent les actifs bruns (taxation, interdiction) et qui encouragent les actifs verts (exonérations, subventions), donnant ainsi un avantage de rentabilité aux seconds par rapport aux premiers.
D’abord en renonçant à certaines pratiques comme la compensation carbone, qui ne convainc plus personne depuis les révélations des journalistes. Le public attend des entreprises qu’elles s’engagent réellement et qu’elles trouvent des solutions innovantes pour décarboner leurs processus de fabrication plutôt que de se reposer sur des projets lointains et incontrôlables.
Et surtout, poursuivre l’effort de réglementation déjà engagé au niveau européen. Dès janvier 2023, le reporting SFDR sur les fonds durables devient plus exigeant, ce qui n’est sans doute pas étranger au mouvement de reclassement article 9 vers article 8…
Mesurer les impacts, expliquer l’alignement avec l’accord de Paris, documenter la trajectoire
A la même date, la directive sur le reporting de durabilité des entreprises européennes (CSRD) est entrée en vigueur, pour application par les grandes entreprises dès 2024. Ces nouvelles normes sur le reporting extra-financier se caractérisent par une plus grande exigence que la directive précédente NFRD. Il s’agit à présent de mesurer les impacts de l’entreprise sur l’environnement, d’expliquer son alignement avec des textes comme l’Accord de Paris, et de documenter sa trajectoire de transformation.
L’exigence en manière de précision des données est renforcée, et les entreprises devront déclarer tout ce qui est matériel pour elles, en s’appuyant sur les nouveaux standards publiés par l’EFRAG, le groupe qui conseille la Commission Européenne sur les normes financières. Ces normes ESRS (European Sustainability Reporting Standards), qui sont au nombre de 12, portent sur les trois piliers : environnement, social et gouvernance, et vont amener une plus grande standardisation de ce reporting.
Dans le cadre des règles prudentielles bancaires, l’Union Européenne est en train de créer l’obligation pour les banques de mettre en place des plans de transition alignés avec l’accord de Paris. Ceci devrait influencer les décisions prises par les banques et « accélérer la transition vers une économie neutre en carbone et vers les technologies zéro carbone » selon les mots de Pascal Canfin, le président de la commission environnement du Parlement européen.
En revanche, la proposition de renforcer les exigences en capital pour les financements fossiles (pondération à 100% dans le RWA) a été écartée pour ne pas trop augmenter les exigences en capital pour le système bancaire.
Mais les banques devront sans doute se plier à la directive sur le devoir de vigilance en matière de droits humains et environnementaux (CSDDD).
De son côté, la Banque centrale européenne va mettre en place des indicateurs chiffrés pour surveiller l’évolution de la finance durable, dans le cadre de son plan d’action climatique : émissions de dettes durables de la zone euro, intensité carbone des portefeuilles des acteurs financiers, et impact des risques physiques liés aux événements climatiques sur ces portefeuilles.
La finance verte devra apporter les preuves de sa vertu climatique et environnementale
Le débat fait rage entre acteurs financiers, entreprises et société civile, les uns déclarant que la transition vers une économie bas-carbone prendra nécessairement du temps, les autres rappelant l’urgence climatique qui, elle, n’attend pas. En tout cas les régulateurs, ACPR et SEC en tête, manifestent leur intention de surveiller plus étroitement les banques et assurances qui s’affichent plus vertes qu’elles ne le sont.
Le greenwashing est de plus en plus perçu par les entreprises comme un risque juridique, preuve que les mentalités ont changé, et que le risque climatique est désormais pris au sérieux…
Un tournant semble donc franchi : la finance verte est plus que jamais d’actualité, mais elle devra à présent apporter des preuves de sa vertu climatique et environnementale, avec à la clé d’énormes chantiers pour les équipes métiers et informatiques des banques et des sociétés de gestion !
Pascal Cottereau